Nous devrions faire attention à qui nous surveille.
C’est une première en France. Le 24 septembre, une plainte collective de 15 248 personnes, portée par la Quadrature du Net, a été déposée auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Elle demande « l’interdiction des caméras de surveillance, de la reconnaissance faciale et du fichage de masse de la population française. »
La surveillance généralisée est en pleine banalisation. Dans les rues comme sur nos écrans, on s’habitue à rendre des comptes, en permanence. Pas de problème, quand on n’a rien à cacher peut-on entendre par-ci par-là…
Sauf que nous avons tous des choses à cacher. Ou on peut tous en avoir. Qui sait à quoi peuvent servir tant de données sur les citoyens ? L’affaire Cambridge Analytica, les élections au Brésil et ailleurs nous ont montré que l’instrumentalisation des réseaux sociaux à des fins politiques était une réalité. Nous avons besoin de zones d’ombres pour être nous.
C’est un grand paradoxe : nous sommes surveillés par ceux que nous devrions surveiller. Les grandes entreprises du net comme les dirigeants ou les forces de l’ordre doivent, plus que les autres, être soumis au régime de transparence et d’exemplarité. Ils ont tant de pouvoir. Comment ne pas être écoeuré, par exemple, d’apprendre que Facebook, qui nous surveille et nous censure si bien, a également joué un rôle considérable dans la montée de la haine contre les Rohingya en Birmanie, menant aux exactions de 2017 ?
« La surveillance est sans doute la manière la plus paresseuse et la moins durable de construire une société. » écrit la Quadrature du net dans son article. Peut-être faut-il inverser la surveillance ; surveiller les surveillants. La lanceuse d’alerte de Facebook, Frances Haugen, vient de lancer Beyond the screen, une association pour documenter « comment les géants de la tech manquent à leurs obligations légales et éthiques envers la société ». Veiller à des intérêts collectifs plutôt que surveiller des individus.
Illustration : Rembrandt, La Ronde de nuit, 1642