Ce midi, au moment où je rejoins Anna pour faire un point sur cette deuxième journée de sevrage numérique, elle colorie un mandala. Je lui demande s’il y a un rapport avec le sevrage numérique. Effectivement me dit-elle, c’est à envisager, elle n’en fait jamais habituellement.
Au lycée, son sevrage numérique ne laisse pas indifférent. Ça favorise la discussion sur les écrans, et chacun y va de son commentaire. Anna et moi établissons des catégories :
L’admirateur incrédule qui ne croit pas une seule seconde que c’est possible : « Sérieux ? Comment tu fais ? Je pourrais pas ! »
Le tentateur un peu pervers qui dégaine systématiquement son téléphone sous le nez d’Anna.
Le sociologue : « C‘est sûr, c’est intéressant comme démarche. C’est vrai qu’on échappe difficilement aux écrans de nos jours. »
L’empathique qui opère un transfert et dévoile son rapport (maladif et névrosé) aux écrans : « C’est super, ça serait bien que je le fasse, mais en fait je pourrais pas, j’en ai besoin pour bosser, ça me rassure, et puis l’idée de m’en passer ça m’angoisse, et puis c’est comme ça, je peux pas faire sans ! »
Et l’esprit bienveillant qui ferme consciencieusement (après qu’Anna lui ait demandé trois fois) les portes, afin d’ôter de son champ de vision les écrans de la pièce d’à-côté.
Donc, dans tout ce tohu-bohu, nous essayons de faire le point de ce deuxième jour.
Julie : Alors ?
Anna : Je réponds au téléphone quand même, j’ai trop peur que ce soit important. Et mardi, j’avais oublié de désactiver le wifi, je recevais des notifications en cascade, alors j’ai dû le désactiver, mais je n’ai pas regardé mes mails, ni messages.
X, Y et Z : Moi, j’ai pas internet sur mon téléphone ! T’aurais pu y penser avant Anna. Mais t’as lu les messages ou non, car c’est ça qui compte ?
Julie : Et ce matin ?
Anna : J’étais encore plus en retard qu’hier ! J’ai éteint mon réveil à l’aveugle, sans le regarder tellement je le connais bien.
X, Y et Z : C’est vrai que moi non plus j’ai pas de montre en fait ! Y’a une horloge ici !? Oui, mais elle ne dort pas là, réfléchis !
Julie : Et hier soir, grand ménage ou pas ?
Anna : Je suis sortie marcher, puis je suis passée au kebab. Il y avait la télé, je me suis mise dos au mur pour ne pas la voir, mais c’était pas pratique. Quand je suis rentrée, j’ai allumé l’ordi par réflexe, et je l’ai éteint aussitôt. J’ai mangé en silence, c’était trop calme. J’ai regardé le vent par la fenêtre. Je me suis couchée plus tôt que d’habitude j’imagine, mais je n’ai pas dormi plus tôt pour autant.
X, Y et Z : J’ai jamais vu un kebab sans télé. Pourquoi t’as pas lu pour t’endormir ?
Julie : C’est dur ?
Anna : C’est difficile de résister aux tentations. Parfois, il y a un morceau qui passe et que tu aimes bien, tu as envie d’aller voir quel est le titre, le groupe, et tu dois résister d’y aller toi-même directement. L’absence de musique, c’est vraiment dur !
X, Y et Z : Moi je pourrais pas ? Quel rapport entre les écrans et la musique ? T’as pas de poste chez toi, sérieusement !